Quand vous arrivez à Venise, et sauf si vous êtes passé par le Lido, il y a de fortes chances pour que vous entriez dans la Sérénissime par le Nord, que ce soit par la gare Santa Lucia, ou la gare des autobus, un peu plus haut encore.
La découverte de Venise par la gare de Santa Lucia est extraordinaire : pour oser une comparaison, imaginez-vous sortir de la Gare d’Austerlitz et vous retrouver plongé, dès la porte franchie, au XVIè siècle.

Découverte de Venise et du Grand Canal depuis le parvis de la gare de Santa Lucia

Venise le Grand Canal. Au fond, la chiesa et le ponte degli Scalzi (ou des Déchaussés, ainsi nommés d'après l'ordre des Carmélites aux pieds nus qui firent bâtirent l'église) ; derrière le pont, la gare de Santa Lucia.

Que vous preniez un abonnement de vaporetto ou un taxi (cher, mais pour l’une des plus belles avenues du monde…), la descente du grand canal jusqu’à San Marco est un parcours que nul ne peut oublier, jamais. Si le taxi est au-dessus de vos moyens, un conseil : marchez jusqu’à l’arrêt des vaporettos " Piazzale Roma " (pour les arrivées en bus ou en voiture) ou " Ferrovia " (pour les arrivées par le train). Là, commence le trajet de la " linea 1 ", le bateau qui descend tout le Grand Canal (il y a d’autres lignes, telles le 82 – consulter le plan). Si vous vous débrouillez bien, vous pouvez prendre les places à la proue, et descendre tout le grand canal en profitant d’une vue dégagée, comme si vous étiez en bateau privé. Merveilles du vaporetto : il est lent, il s’arrête souvent, et va d’une rive du canal à l’autre.

Venise, navigation matinale sur le Grand Canal. A gauche : taxi et bateau privé. A droite : à l'avant du vaporetto de la Linea Uno.

Cette descente du Grand Canal est une sorte de voyage extatique. Nous avons souvent observé, sur la « linea 1 », des touristes qui à l’évidence découvraient Venise. Les symptômes sont clairs : mutisme, immobilité due au saisissement devant le spectacle, parfois larmes aux yeux. Si le choc a lieu dès qu’on a passé la gare, si la beauté des palais est égale tout le long du périple, il y a aussi comme un accroissement de cette extase dont nous parlions, accroissement dû à certains changements dans la physionomie du Canal, et au fait que les merveilles succèdent aux merveilles. Le Grand Canal pourrait être divisé arbitrairement en trois parties : de la Gare Santa Lucia (on ne peut pas dire qu’en amont il soit d’un grand intérêt) jusqu’au Rialto, du Rialto jusqu’au Musée de l’Accademia, et de l’Accademia jusqu’à San Marco, puisque ici le canal prend le nom de la célèbre piazza. Empruntons-le, depuis Santa Lucia…
De Santa Lucia au Rialto.
Si vous avez la chance ou le courage d’être matinal, le canal, apuré de la plupart de ses embarcations motorisées, vous fait encore plus remonter dans le temps. A peine avez-vous quitté la gare (moderne, mais qui donne de plain-pied sur le Canal et San Simeon Piccolo), que les palais anciens se succèdent. Bientôt, sur votre gauche, vous apercevez le Palazzo Labia, qui donne sur le ravissant canal de Canareggio. Le Fondaco dei Turchi, plus loin à droite, dans la courbe qui mène au Rialto, fait pratiquement face au Palazzo Vendramin. Puis, sur la rive gauche, après le Palazzo Vendramin, vous découvrez l’admirable façade de la Ca’d’Oro, un des plus beaux palais vénitiens que vous irez évidemment visiter, ne serait-ce que pour voir le Saint-Sebastien de Mantegna. Alors que le canal semble être d’une largeur à peu près constante, voilà qu’il se rétrécit avant le pont du Rialto, après la Ca’d’Oro et à hauteur du merveilleux marché au poisson, et qu’il propose un petit virage à droite. Les alentours du Rialto sont toujours animés. Le Pont lui-même, arche unique de 28 mètres de long, date de la fin du XVIème siècle. Il a succédé à un pont de bois qui bien sûr a été la proie des flammes. Votre embarcation passe lentement sous le pont, dans le virage à droite, et vous découvrez alors une longue et sublime perspective sur le Canal devenu droit, votre regard plongeant au loin jusqu’à Ca’Foscari.
Du Rialto à l’Accademia
En descendant vers le musée de l’Accademia et sur cette ligne droite, une fois dépassée l’animation du Rialto, l’ambiance se calme un peu ; pas l’extase. Les beautés se succèdent. Le palazzo Loredan (rive gauche) et sa belle loggia, la palazzo Bernardo (rive droite), entre autres… En face de vous, la Ca’Foscari fait l’angle qui sépare le grand Canal et le Rio Nuovo. La courbe à gauche, à hauteur de Ca’Foscari, vous offre la vue sur le pont de bois de l’Accademia, mais aussi sur la coupole de la Salute et l’embouchure de la lagune. Quelle perspective… Quittez-la néanmoins du regard pour contempler la façade de la Ca’Rezzonico, rive droite, ce palais qui renferme le musée du XVIIIème vénitien, ou à gauche le palazzo Grassi, qui appartient aujourd’hui à la Fondation Pinault. Vous voici passant sous le pont de l’Accadémia (exceptionnel musée !), construction en bois qui date de 1932, décriée à l’époque mais se mariant parfaitement bien à l’ensemble. Vous abordez alors la troisième partie du Canal Grande.
De l’Accademia à San Marco
Après l’Accademia – entourée de superbes façades, évidemment - votre regard passe de la rive de la Salute et de la punta della Dogana, à votre droite, à la succession de palais somptueux et d’hôtels de luxe comme le Gritti, sur la rive gauche. Et en face de vous, dans la lagune qui accueille les eaux du canal, se dresse l’île de San Giorgio et le dôme de son église. Vous passez devant la terrasse du Palazzo Venier dei Leoni qui abrite le musée Peggy Guggenheim - de l’autre côté, le palazzo Corner della Ca’Granda, siège de la Préfecture - puis devant la Ca’Dario, superbe palais de la fin du Xvème affublé de la réputation d’être maudit, différents propriétaires y étant morts de mort violente… L’église Santa Maria della Salute vous enveloppe ensuite de sa masse protectrice - contre la peste, puisqu’elle a été édifiée après un vœu lors de l’épidémie de 1630 -, édifice du à Baldassare Longhena. Une visite de cette église s’impose, à la fois pour apprécier le volume interne de la coupole et pour s’enthousiasmer devant les superbes toiles dans la sacristie (dont les « noces de Cana », du Tintoret). La ravissante pointe de la douane, du XVIIème siècle, qui reçoit maintenant le musée d’art contemporain cher à monsieur Pinault, s’ouvre sur la lagune. Un « garçon avec une grenouille », du sculpteur Charles Ray, semble fort intéressé par sa prise… Le Vaporetto vous dépose ensuite à l’arrêt Piazza San Marco. Vous êtes passés devant de magnifiques palaces, le Gritti, le Bauer, le Monaco et Grand canal. Vous êtes encore bouleversés par votre périple. L’arrivée au ponton du vaporetto est tout aussi renversante, puisque vous voyez le Campanile, la façade du palais de Doges, la coupole de la Basilique. Sachez que la promenade en vaporetto que vous venez d’effectuer n’est cependant qu’une des béatitudes que vous allez éprouver lors de la visite de cette ville à nulle autre pareille.